Les tropes sceptiques constituent autant d'arguments en faveur de la suspension du jugement. Quels en sont, alors, les effets ?
Extrait :
Il est nécessaire avant tout d'examiner la connaissance de ce qui est en nous ; car, si nous n'avons reçu de la nature aucune faculté pour connaître, il n'est plus nécessaire de rechercher quelque autre chose que ce soit. Il y a eu même jadis certains philosophes qui ont proféré cet axiome auquel Aristote a répondu ; mais Pyrrhon de l'Élide, plus qu'aucun autre, s'est signalé par la profession de cette doctrine, quoiqu'il ne nous ait laissé aucun écrit.
Son disciple, Timon, dit que celui qui veut être heureux doit examiner trois points : d'abord, quelle est la nature des phénomènes ; deuxièmement, la manière dont nous devons nous conduire à leur égard ; enfin, quelle sera l'issue de cette conduite. En procédant ainsi, disait-il, les phénomènes apparaissent également indifférents, immesurables, indécidables. Il s’ensuit qu’il ne saurait y avoir ni vérité ni erreur dans nos sensations pas plus que dans nos jugements. On ne doit donc leur accorder aucune confiance, et nous devons être sans jugement, sans inclination pour l'une plutôt que pour l'autre, et imperturbables, en affirmant de chaque chose qu'il n'est pas plus vrai qu'elle soit, qu'il n'est vrai qu'elle n'est pas, puisqu'être ou n'être pas n'ont pas plus de réalité l'un que l'autre. À ceux qui se trouvent dans cette disposition d'esprit adviennent l’aphasie [l'ἀφασία] et l’ataraxie [ἀταραξία], selon Timon, et la félicité [ἡδονή/hédonè] suivant Aenésidémus.
Eusèbe DE CÉSARÉE, Préparation évangélique, XIV, Gaume Frères, 1846, retrad. personnelle.
Questions :
1. La destination de l'extrait est indiquée au début du second paragraphe : le sceptique s'adresse ici à "celui qui veut être heureux". Recherchez ou rappelez-vous la définition du terme "eudémonisme". Pourquoi la quête eudémoniste nécessite-t-elle d'examiner s'il est en notre pouvoir de connaître ?
2. Si le bonheur constitue le souverain bien (le bien tel qu'aucun autre ne saurait lui être supérieur), certains pourraient-ils ne pas "[vouloir] être heureux" ? Mais, dans ce cas, le fait que le bonheur soit à rechercher ne constitue-t-il pas une vérité, que le sceptique admet comme une thèse, même s'il a la prudence d'en faire une présentation hypothétique (affirmant que l'analyse qui suit vaut si et seulement si on recherche le bonheur) ? Voyez-vous un moyen d'échapper à ce problème ?
3. Concernant la "nature des phénomènes" : le monde nous offre-t-il le spectacle de la stabilité, de la permanence ? En quoi les phénomènes apparaissent-ils alors comme " indifférents, immesurables, indécidables" ?
4. Pourquoi l'attitude consistant à "être sans jugement" (en grec ancien : l'épochè) est-elle la seule conduite raisonnable à avoir face à cette inconsistance du monde ? Celui qui s'entêterait à chercher une thèse a-t-il la moindre chance de voir sa quête aboutir ?
5. L'"issue de cette conduite" intéresse plus l'homme que la science : ne pouvant juger de rien, il n'a alors rien à dire ; n'étant plus dans l'inquiétude de la quête, il éprouve l'ataraxie, un état d'absence de trouble intérieur. Complétez cette conclusion, en changeant de point de vue : quelle est l'issue de cette conduite en ce qui concerne la question de la recherche de la vérité ?
Réflexion :
À la lumière de ce texte, examinez la question suivante : faut-il renoncer à vouloir la vérité pour être heureux ?
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